Les mots surlignés font l'objet d'une note
1Monseigneur, ne trouvant personne par qui vous escrire, j’ay advisé vous
2envoyer ce porteur pour vous advertir que tantost apres mes dernieres
3lettres, de l’advis de messieurs Du Puy Saint-Martin et de Chabrillan, je
4mis ceans douze soldatz, outre Le Picard qui est meshuy au bout
5de son terme, qui y sont encores. Je l’ay faict principalement pour
6troys raisons : la premiere, que ce chasteau est envyé et tel
7que s’il tumboit entre les mains de quelque mal affectionné au
8service du roy ce seroit la ruyne de tout ce pays ; la seconde
9parce qu’il est si grand que pour s’y garder de surprinse, il
10fault faire deux sentinelles, l’une sur le dehors, et l’autre sur
11la ville, delaquelle je me doubte le plus, pour estre plaine des
12plus meschans huguenotz qui soient en ce pays, et dont la
13plus grand part ont porté les armes ; la derniere, d’aultant que
14en tout ce lieu n’y a pas plus hault de quarante catholicques,
15desquelz il n’y a que quatre ou cinq dont l’on peult tirer service,
16et encores en tout tant qu’ilz sont, ilz n’ont que quatre acquebouzes.
17La solde desdictz soldatz est de huict solz le jour, à quoy les
18consulz et conseilliers du lieu l’ont touvée raisonnable, ayant
19esgard à la grande chertée des vivres, telle que la livre
20du pain commung couste trois liardz et va tousjours
21encherissant, le pot du vin nouveau ung solz, et tout le
22reste sy cher que les paisans mesmes prennent de six à
23sept solz la journée. Ladite solde est payée par ceulx de
24la religion sur lesquels elle a esté esgallée par les consulz
25[v°] et officiers du lieu, si bien qu’i n’y ont sceu que redire. Neantmoins,
26ilz en ont cuidez enrager du commencement jusques à me sommer
27et resommer de leur monstrer le pouvoir que j’avois de les y
28contraindre ; et que sans cela ilz ne payeroient rien. Toutesfois
29à la fin je leur ay faict prendre raison en payement, mesmes
30quant ilz ont veu que par toutes les villes d’icy autour leurs
31freres en sont à mesmes. La plus grand part d’entre eulx qui s’en
32estoient fouyz sont de retour et font bonne myne toutesfois,
33il n’en y a pas ung qui se soit reduict, mais perseverans en leur
34opiniatrise premiere, bravent encores, sinon de faict, à tout le
35moins de parolle. La Roche et les autres qui ont la conscience
36plus chargée sont encores absens en Vivarais. Et si ne font
37pas estat d’en revenir pour encores. Je suis icy tous les jours
38et quelque fois y couche ; et sy suis resolu que, maintenant
39que votre chambre est parfaicte, n’en bouger que je n’ay autre nouvelle
40de vous. Je y ay mis quelque lard et ung peu de pouldre, mais
41si cecy prenoit plus long traict, je vous vouldrois bien supplier
42me descharger de ceste despence, car le tout est venu de
43ma bource, et aussy m’advertir votre volunté de tout ce que
44dessus, laquelle je mectray peine d’executer en sorte qu’avec layde
45de Dieu vous aurez occasion de vous en contenter. Au reste,
46il y a environ dix ou onze jours que les soldatz de ce lieu,
47sentans la ville en alarme, monterent sur la muraille et
48descouvrirent au-dessoubz de votre garde robbe nefve sept hommes,
49desquelz les six portoient arquebuzes et le septiesme une
50[21] longue perche, de laquelle ilz ont opinion quilz voulloient ou peult-
51estre auroient desja mesuree la muraille de cest endroict-là.
52Le lendemain, je fus sur le lieu et trouvay qu’autrefois on avoit
53tant gecté de terre du chasteau contre ceste muraille, la quelle
54ne paroissoit pas plus haulte que vingt ou vingt deux piedz ;
55à cause de quoy je feis soudains escarper ladite terre jusques au
56roc bien neuf grand piedz de profond, de sorte que, à mon
57jugement, la muraille en est maintenant hors d’eschelle.
58Hier au soir nous eusmes encores ung allarme de quelques
59belitres qui sont venuz tirer une douzaine d’arquebuzades aux
60centinelles de la ville, scachans bien à mon advis qu’ilz
61n’avoient pas de quoy leur respondre. Quant au general, ils font
62bonne myne, et crois qu’ilz sont grandement effrayez.
63Toutesfois je vous prie asseurer qu’ilz s’aprestent bien fort,
64soit pour se deffendre, ou pour enterprendre quelque chose
65de nouveau. Oultre ce que je croy que monsieur d’Ourche vous
66peult avoir adverty des langaiges que Roisses luy a tenuz,
67j’ay esté adverty qu’il y a ung serrurier à Sou qui depuis
68se trouble n’a cessé, avec quatre ses enfans ou serviteurs,
69de raviller arquebuzes et aultres armes. Bref, il eschappe
70journellement, mesmes aux plus petitz, des langaiges qui ne
71sente poinct leur cueur abaissé ou desirans le repot. L’autre
72jour, j’envoyay à Dye ung homme de Chabrillan discret pour
73m’achepter quelques chandelles et autres provisions, lequel me
74raporta qu’ung catholicque a qui je l’avois adressé, luy avoit
75dict qu’il estoit fort à craindre que monsieur de Monleuc
76[v°] se trouva trompé de ceux du lieu. Voila tout ce que je vous scaurois
77escrire, me recommandant tres humblement à votre bonne grace, je prye
78Dieu,
79Monseigneur, vous avoir en sa saincte garde. De Grane, ce IIe octobre
801572.
81L. de brianson