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XIX, folios:20 21
Briançon, Louis de
M. de Gordes
Lettre non liée
02/10/1572
Laval
Grane

Transcription

Les mots surlignés font l'objet d'une note

1

Monseigneur, ne trouvant personne par qui vous escrire, j’ay advisé vous

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envoyer ce porteur pour vous advertir que tantost apres mes dernieres

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lettres, de l’advis de messieurs Du Puy Saint-Martin et de Chabrillan, je

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mis ceans douze soldatz, outre Le Picard qui est meshuy au bout

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de son terme, qui y sont encores. Je l’ay faict principalement pour

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troys raisons : la premiere, que ce chasteau est envyé et tel

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que s’il tumboit entre les mains de quelque mal affectionné au

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service du roy ce seroit la ruyne de tout ce pays ; la seconde

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parce qu’il est si grand que pour s’y garder de surprinse, il

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fault faire deux sentinelles, l’une sur le dehors, et l’autre sur

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la ville, delaquelle je me doubte le plus, pour estre plaine des

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plus meschans huguenotz qui soient en ce pays, et dont la

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plus grand part ont porté les armes ; la derniere, d’aultant que

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en tout ce lieu n’y a pas plus hault de quarante catholicques,

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desquelz il n’y a que quatre ou cinq dont l’on peult tirer service,

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et encores en tout tant qu’ilz sont, ilz n’ont que quatre acquebouzes.

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La solde desdictz soldatz est de huict solz le jour, à quoy les

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consulz et conseilliers du lieu l’ont touvée raisonnable, ayant

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esgard à la grande chertée des vivres, telle que la livre

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du pain commung couste trois liardz et va tousjours

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encherissant, le pot du vin nouveau ung solz, et tout le

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reste sy cher que les paisans mesmes prennent de six à

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sept solz la journée. Ladite solde est payée par ceulx de

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la religion sur lesquels elle a esté esgallée par les consulz

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[v°] et officiers du lieu, si bien qu’i n’y ont sceu que redire. Neantmoins,

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ilz en ont cuidez enrager du commencement jusques à me sommer

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et resommer de leur monstrer le pouvoir que j’avois de les y

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contraindre ; et que sans cela ilz ne payeroient rien. Toutesfois

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à la fin je leur ay faict prendre raison en payement, mesmes

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quant ilz ont veu que par toutes les villes d’icy autour leurs

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freres en sont à mesmes. La plus grand part d’entre eulx qui s’en

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estoient fouyz sont de retour et font bonne myne toutesfois,

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il n’en y a pas ung qui se soit reduict, mais perseverans en leur

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opiniatrise premiere, bravent encores, sinon de faict, à tout le

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moins de parolle. La Roche et les autres qui ont la conscience

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plus chargée sont encores absens en Vivarais. Et si ne font

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pas estat d’en revenir pour encores. Je suis icy tous les jours

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et quelque fois y couche ; et sy suis resolu que, maintenant

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que votre chambre est parfaicte, n’en bouger que je n’ay autre nouvelle

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de vous. Je y ay mis quelque lard et ung peu de pouldre, mais

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si cecy prenoit plus long traict, je vous vouldrois bien supplier

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me descharger de ceste despence, car le tout est venu de

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ma bource, et aussy m’advertir votre volunté de tout ce que

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dessus, laquelle je mectray peine d’executer en sorte qu’avec layde

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de Dieu vous aurez occasion de vous en contenter. Au reste,

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il y a environ dix ou onze jours que les soldatz de ce lieu,

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sentans la ville en alarme, monterent sur la muraille et

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descouvrirent au-dessoubz de votre garde robbe nefve sept hommes,

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desquelz les six portoient arquebuzes et le septiesme une

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[21] longue perche, de laquelle ilz ont opinion quilz voulloient ou peult-

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estre auroient desja mesuree la muraille de cest endroict-là.

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Le lendemain, je fus sur le lieu et trouvay qu’autrefois on avoit

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tant gecté de terre du chasteau contre ceste muraille, la quelle

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ne paroissoit pas plus haulte que vingt ou vingt deux piedz ;

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à cause de quoy je feis soudains escarper ladite terre jusques au

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roc bien neuf grand piedz de profond, de sorte que, à mon

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jugement, la muraille en est maintenant hors d’eschelle.

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Hier au soir nous eusmes encores ung allarme de quelques

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belitres qui sont venuz tirer une douzaine d’arquebuzades aux

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centinelles de la ville, scachans bien à mon advis qu’ilz

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n’avoient pas de quoy leur respondre. Quant au general, ils font

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bonne myne, et crois qu’ilz sont grandement effrayez.

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Toutesfois je vous prie asseurer qu’ilz s’aprestent bien fort,

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soit pour se deffendre, ou pour enterprendre quelque chose

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de nouveau. Oultre ce que je croy que monsieur d’Ourche vous

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peult avoir adverty des langaiges que Roisses luy a tenuz,

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j’ay esté adverty qu’il y a ung serrurier à Sou qui depuis

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se trouble n’a cessé, avec quatre ses enfans ou serviteurs,

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de raviller arquebuzes et aultres armes. Bref, il eschappe

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journellement, mesmes aux plus petitz, des langaiges qui ne

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sente poinct leur cueur abaissé ou desirans le repot. L’autre

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jour, j’envoyay à Dye ung homme de Chabrillan discret pour

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m’achepter quelques chandelles et autres provisions, lequel me

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raporta qu’ung catholicque a qui je l’avois adressé, luy avoit

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dict qu’il estoit fort à craindre que monsieur de Monleuc

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[v°] se trouva trompé de ceux du lieu. Voila tout ce que je vous scaurois

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escrire, me recommandant tres humblement à votre bonne grace, je prye

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Dieu,

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Monseigneur, vous avoir en sa saincte garde. De Grane, ce IIe octobre

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1572.

81 Votre [barré : hu] très humble serviteur 82

L. de brianson

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